A Jean Clavreul

Par Frédéric BIETH, M-A. AUGUSTINA BOURELLY, Michel FENNETAUX et Jean-Charles POLLET

Jean Clavreul est décédé le 28 octobre 2006 dans le train qui l’amenait de Paris en Italie où l’attendait Colette, sa compagne, voyage insolite pour celui dont le métier était de faire voyager les autres. Un livre d’or (1) est mis à disposition de celles et ceux qui désirent témoigner.

Jean Clavreul a d’abord occupé une place éminente à l’Ecole Freudienne de Paris E.F.P jusqu’à sa dissolution, puis dans le monde des psychanalystes : par ses prises de position critiques, la pénétration de ses intuitions cliniques, et la hardiesse de ses prises de position théoriques. À 83 ans, porté par une passion toujours aussi vive pour cette psychanalyse à laquelle il avait consacré sa vie, il recevait ses patients toujours avec la même vigilance, la même humanité, le même respect, élaborant dans le même élan une œuvre apparentée à celles des plus grands.

L’éthique du psychanalyste par rapport au savoir, écrivait-il, est ainsi très particulière, et sans doute unique au regard des autres activités professionnelles où l’on peut considérer de façon assez simple que plus on a de savoir et d’expérience et mieux ça vaut. Cela ne saurait suffire pour le psychanalyste qui doit surtout savoir qu’il lui est impossible de connaître au départ le véritable agent de la névrose, puisque celui-ci est refoulé et ne va apparaître que peu à peu au cours de la cure. (2)

Solitaire comme l’est tout penseur libre, il nous laisse une œuvre qui ne cessera de surprendre par les chemins critiques qu’il a ouverts dans le questionnement psychanalytique, loin de toute tentation orthodoxe, morale ou dogmatique.

Clinicien, et par conséquent théoricien, Jean Clavreul était de ceux qui reçoivent la pensée de Freud et de Lacan comme celle de bien d’autres : non pas comme objets de collection et d’adoration mais comme parole à interroger, encore et encore… jusqu’à parvenir à les dire dans ses propres mots, savoir mêlé à ignorance, et qui se met humblement à l’écoute de sa propre écoute.

« Aucun psychanalyste, et Lacan pas plus qu’un autre, ne peut prétendre détenir la Vérité, ni posséder le Savoir. Seule la haine inconsciente qu’on porte à un homme peut expliquer qu’on en fasse un objet d’adoration. Lacan ne l’ignorait pas quand il disait à son auditoire qui allait à son séminaire comme on va à la messe : Que venez-vous faire ici ? Vous venez jouir de mon corps ».

La psychanalyse est en deuil, et nous ne mesurons sans doute pas encore ce que nous a laissé Jean Clavreul : des pensées qui ne sont pas près de finir de s’écrire, comme cette évidence : qu’il n’y a de psychanalyse que du transfert – la radicalité de cette position n’ayant d’autre effet que de démonétiser toute imitation au seul bénéfice de l’éthique de la psychanalyse en acte.

Point où Jean Clavreul recroisait les pas de Jacques Lacan, lorsque celui-ci avançait qu’il n’y avait pas de transmission de la psychanalyse. Celle-ci, disait-il, ne saurait se réduire à un Savoir, un Enseignement, ou un Bien transmissible.

En d’autres termes, un psychanalyste ne peut prétendre à ce titre qu’à la condition de redécouvrir pour son propre compte la veine qui permet de mettre en place l’expérience éthique originale à quoi la mise en place du « cadre » prête vie.

Un vrai Maître, disait-il souvent, un Maître véritable, ne maîtrise rien – les seuls à mériter sans restriction ce titre sont ceux dont la fréquentation au lieu d’enchaîner, déchaîne, ceux dont la fréquentation assidue loin d’aliéner, libère

Tous ceux qui ont accepté de travailler dans la grande proximité avec lui qu’impliquait l’analyse ou la cure supervisée qu’on était venu lui demander, peuvent l’attester : Jean Clavreul savait être un humain de premier ordre, aussi  bien qu’ un grand psychanalyste.

http://jean-clavreul.blog.fr

2 Le désir et la Loi « Approches analytiques » page 55 – Ed. Denoël – Paris 7°- 1987.

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